Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol26.djvu/257

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des cigarettes. J’aime la propreté et je donne de l’argent, seulement à condition que la blanchisseuse me lave cette chemise, que je change deux fois par jour, et grâce à cette chemise, la blanchisseuse a épuisé ses dernières forces et elle est morte.

Qu’y a-t-il de mal à cela ? Les hommes qui achètent et louent, même si je m’abstiens de les imiter, forceront les autres à préparer le velours, les bonbons, et les achèteront ; ils loueront quelqu’un pour faire des cigarettes et laver des chemises. Alors pourquoi me priverais-je de velours, de bonbons, de cigarettes, de chemises propres, une fois que c’est établi ? Souvent, presque toujours, j’entends ce raisonnement. C’est le même que celui de la foule affolée qui détruit quelque chose. C’est ce même raisonnement dont se guident les chiens quand l’un d’eux s’élance et renverse un autre : alors les autres s’élancent aussi et le mettent en pièces. On a déjà commencé, on a tout gâté : alors, pourquoi n’en pas profiter ? Qu’adviendra-t-il si je porte une chemise sale et prépare moi-même mes cigarettes ? quelqu’un s’en trouvera-t-il mieux ? demandent les gens qui veulent se justifier. Si nous n’étions pas si détournés de la vérité, nous aurions honte de répondre à pareille question. Mais nous sommes si embrouillés que cette question nous semble très naturelle, c’est pourquoi, si honteux que ce soit, il faut y répondre.