Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/234

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nôtres le reprendront. Combien des nôtres périront ! Mais aussi vrai que Dieu est saint, si l’Empereur l’ordonne on le reprendra. Est-ce que les nôtres l’abandonneront comme ça ! Allons donc ! Il a pris les murs nus, tous les retranchements ont sauté… C’est vrai qu’il a planté son drapeau sur le mamelon, mais dans la ville, il n’osera pas.

— Attends un peu ! Nous réglerons encore nos comptes avec toi ! Laisse faire, — conclut-il en s’adressant aux Français.

— C’est sûr, — fit l’autre avec conviction.

Sur toute la ligne des bastions de Sébastopol où, pendant tant de mois, bouillonnait une vie extraordinaire, qui pendant tant de mois voyait les héros se succéder dans la mort et tomber l’un après l’autre, ces héros, qui pendant tant de mois excitaient la peur, la haine, l’admiration des ennemis, sur les bastions de Sébastopol on ne voyait déjà personne. Tout était mort, farouche, terrible, mais non silencieux : tout croulait encore. Sur la terre creusée par les récentes canonnades partout gisent les affûts démolis qui pressent les cadavres des Russes et des ennemis. Les lourds canons muets pour toujours et qu’une force terrible jeta dans les fossés, sont à moitié remplis de terre ; des boulets et des bombes, encore des cadavres, encore des fossés, des éclats de fonte, de cuivre de blindage et encore des cadavres silencieux en leurs capotes grises et bleues. Tout cela tremblait en-