Page:Tolstoï - Œuvres complètes, vol4.djvu/235

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core parfois et s’éclairait de la flamme pourpre des explosions qui continuaient à ébranler l’air.

Les ennemis voyaient que quelque chose d’incompréhensible se passait dans le terrible Sébastopol. Ces explosions et le silence mortel sur les bastions les faisaient trembler mais ils n’osaient croire encore, sous l’influence de la résistance forte et calme de la journée, que leur inexorable adversaire avait disparu, et en silence, sans remuer, avec un tremblement, ils attendaient la fin de la nuit lugubre.

L’armée de Sébastopol, comme la mer houleuse dans une nuit sombre, en se répandant, se réunissant et tressaillant, de toute sa masse se mouvait près de la baie, et dans l’obscurité compacte, s’avancait lentement par le pont et la Severnaïa, loin du lieu où elle laissait tant de braves, de ce lieu tout rempli de son sang, défendu pendant onze mois contre l’ennemi deux fois plus fort et qu’on lui ordonnait maintenant de quitter sans combat.

La première impression de cet ordre fut pour chaque Russe, terrible et incompréhensible. Le deuxième sentiment fut la crainte de la poursuite. Les soldats se sentirent inoffensifs dès qu’ils quittèrent l’endroit où ils étaient habitués à se battre, et ils se serraient inquiets dans l’obscurité, près de l’entrée du pont qu’un vent fort balançait.

Avec ses baïonnettes empêtrées, ses régiments, ses voitures et ses milices emmêlés, l’infanterie