Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/112

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Pensez-vous que moi aussi je deviendrai vieille ?

Comme je m’apprêtais à ne pas répondre, on vint annoncer Eliburru, qui devait dîner avec nous ; et je priai Nane qu’on l’introduisit ici même.

Le philosophe était magnifiquement vêtu. Son habit, tout battant neuf, lui allait comme un gant — comme un gant trop large ; et il portait avec effort un chapeau à claque dont il semblait se demander tour à tour si c’était un tambour de basque, ou un plateau à petit verres.

Mais Nane dit encore :

— Moi aussi, est-ce que vous ne croyez pas que je deviendrai vieille, un jour ?

— Non, pas un jour, répondit le philosophe. C’est la nuit qu’on vieillit, qu’on devient flasque et ridé, qu’on se poche.

— Pourquoi ?

— C’est qu’il y a des bêtes, Nane, des bêtes frileuses et presque invisibles, qui vivent de notre sommeil. Quand vous êtes si profondément endormie que vous ne savez plus même si vous dormez seule, elles se coulent frissonnantes entre vos draps, et c’est alors que vous rêvez d’abymes et de bie