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Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/127

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Ibi civitas sunt Venetiæ.
(OLIVARIUS in Pompon. Mel.)
L’inconnu, dont la lune éclairait les traits repoussants, tendit son bras vers une masse de brumes et de lueurs :
— Voilà Venise, dit-il ; et c’est par une nuit pareille que le prince lombard jeta ses éperons d’or à l’eau, en jurant de ne plus chevaucher jamais que Cornarine au nombril brillant, et les vagues de la mer.
— Il est vrai, dit un autre, et c’est par une pareille nuit que Jean-Jacques reçut d’une courtisane, qu’il n’avait pas satisfaite, le conseil de se vouer aux mathématiques.
— Hélas, dit mon amie, c’est par une pareille nuit que l’ardente Aurore Dupin voulut persuader le seigneur Pagello, dont elle ne fut jamais bien comprise, qu’il était son premier roman.
— Et c’est, lui dis-je, par une nuit pareille, que Nane, de ses lèvres ruineuses, baisa pour la première fois son ami, à travers mille serments dont pas un n’était vrai.


Cet automne que nous fûmes à Venise, mon amie Nane et moi, nous étions partis de Bordeaux. C’est ainsi, mais par mer, qu’il faudrait toujours quitter la France ; et les regrets qu’on emporte de ce beau royaume seraient moins vifs, si on ne lui disait adieu qu’à travers cette cité de vin et de morues,