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Page:Toulet - Mon Amie Nane, 1922.djvu/48

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il est sans cesse enveloppé d’un silence admirable. Et je pensais faire de la musique ; mais je me contentai, pendant près d’une heure, dans un de ces fauteuils profonds qui semblent avoir été inventés par la paresse même, de contempler, tout en fumant, les damas fanés, rouges et jaunes, qui retombent de la galerie et voilent le haut de l’orgue. Tout à coup on sonna : c’était Nane.

Elle entre de son pas glissant, allongé, silencieux, qui en fait une chose si belle à voir marcher, et tandis que je lui baise le creux des mains :

— C’est gentil, dit-elle, chez vous.

Puis elle s’assied, et demeure immobile. Sous des paupières pesantes, ses yeux de pierre dure sont vides d’expression, et sa bouche, qui est comme celle d’un enfant, fait sans cesse une petite moue. Elle a l’air, aujourd’hui, d’une chose naturelle, fraîche, qui arriverait de province dans un panier ; il s’en dégage comme l’odeur des fougères trempées par l’orage ; et je pense un instant respirer ces bois noirs et frais de chez nous, où il y a de l’eau qui court.

— Vous êtes donc peintre, reprend-elle, que vous avez un atelier ?