Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/109

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

solennelle gelée tremblante et sans les « vents d’Espagne[1] ».

Radilov, qui avait passé dix ans dans un régiment d’infanterie de ligne et qui avait fait une campagne en Turquie, commença d’interminables récits. Je l’écoutais avec attention tout en observant Olga à la dérobée. Elle n’était pas très jolie, mais sa physionomie calme et résolue, son large front blanc et poli, sa chevelure abondante, surtout ses yeux, bruns, petits, mais spirituels, lumineux et vifs, m’intéressaient. Elle suivait, pour ainsi dire, chaque mot que prononçait Radilov ; ce n’était pas de l’attention, mais une sorte de passion. Radilov aurait pu être le père de cette jeune fille, il la tutoyait, mais je devinai tout d'abord qu’elle n’était pas sa fille. Au cours de la conversation il vint à parler de sa défunte épouse qui était sa sœur, ajouta-t-il en montrant Olga. Elle rougit et baissa les yeux, Radilov parla d’autre chose. Durant tout le repas, la vieille dame resta muette, ne mangea presque rien et ne m’offrit aucun plat ; sa physionomie laissait lire une sorte d’attente craintive et désespérée, un de ces chagrins de vieillard qu’on ne peut observer sans serrement de cœur.

  1. Gâteaux.