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Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/110

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À la fin du dîner, comme Fedor Mikhéitch allait célébrer l’hôte et son honorable convive, Radilov me regarda et lui ordonna de se taire. Le vieillard passa sa main sur ses lèvres, cligna des yeux, salua et s’assit sur un angle de sa chaise. Après le dîner je suivis Radilov dans son cabinet.

Les hommes, foncièrement pris par une idée ou par une passion, ont un certain caractère commun, une certaine parité d’allures et d’attitudes, si différents d’ailleurs que puissent être leurs qualités, leurs talents, leur position dans le monde et leur éducation. En observant Radilov, j’arrivai à me convaincre que son âme gravitait autour d’une idée. Il parlait économies, moissons, foins, guerres, cancans, élections, et il en parlait naturellement avec chaleur ; mais tout à coup il soupirait, tombait dans son fauteuil comme un homme épuisé et passait et repassait sa main sur son visage. Son cœur bon et ardent était certainement pénétré et imprégné d’un unique sentiment, point qui ne pouvait manquer de m’intriguer. Il me fut impossible de constater que Radilov eût du goût pour la table, le vin, la chasse, les rossignols de Koursk, les pigeons épileptiques, la littérature russe, les chevaux de races, les surtouts à brandebourgs,