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Page:Tourgueneff - Récits d un chasseur, Traduction Halperine-Kaminsky, Ollendorf, 1893.djvu/31

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Kalinitch, au contraire, était un idéaliste, un romantique, un enthousiaste, un rêveur. Khor entendait ses intérêts, il s’était établi, il avait amassé de l’argent, il était en bons termes avec son bârine et les autres puissances ; Kalinitch, chaussé de laptis vivait au jour le jour ; Khor avait fondé une famille nombreuse, soumise et unie ; Kalinitch, marié jadis avec une femme qu’il redoutait, n’avait jamais eu d’enfants ; Khor avait dès longtemps deviné son maître ; Kalinitch vénérait pieusement M. Poloutikine ; Khor aimait et protégeait Kalinitch ; Kalinitch aimait et estimait Khor ; Khor parlait peu, souriait, réfléchissait ; Kalinitch parlait avec feu ; sans doute il ne chantait pas comme un rossignol, selon l’usage des ouvriers, mais il avait des vertus dont Khor lui-même convenait volontiers. Il conjurait les coups de sang, les hallucinations, la rage ; il chassait les vers, il savait soigner les abeilles, et, d’une façon générale, il avait la main heureuse. J’ai vu Khor le prier d’introduire dans l’écurie un cheval récemment acheté. Le charmeur obtempéra gravement et consciencieusement à la prière du vieux sceptique. Kalinitch était plus près de la nature et Khor de la société. Kalinitch, qui ne se fatiguait pas à raisonner, croyait à tout aveuglément ;