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Page:Tourgueniev-Le Rêve.djvu/10

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Je ressentais un assez vif mal de tête, et, pour m’en délivrer, je me dirigeai, en suivant le bord de la mer, vers un grand parc situé hors de la ville ; et, après m’être promené une heure ou deux à l’ombre des vieux chênes, je regagnai la maison.

VII

Dès que j’eus franchi le seuil, notre servante se précipita à ma rencontre, tout effarée. Je devinai à l’instant, à l’expression de son visage, que quelque chose de grave avait dû se passer à la maison pendant mon absence. En effet, j’appris que, une heure avant mon arrivée, un cri terrible avait tout à coup retenti dans la chambre de ma mère, et la servante, accourue à ce cri, l’avait trouvée par terre, évanouie. Au bout de quelques minutes ma mère revint à elle, mais fut obligée de prendre le lit. Elle avait un air étrange, bouleversé, ne répondait pas aux questions, ne disait pas une parole et ne cessait de jeter autour d’elle des regards d’effroi.

La servante envoya le jardinier chercher un médecin. Celui-ci vint, prescrivit un calmant ; mais à lui non plus, ma mère ne dit pas un seul mot. Le jardinier prétendait que, peu d’instants après qu’eut retenti le cri jeté par ma mère, il avait vu un homme inconnu franchir rapidement les plates-bandes de notre jardin et se diriger, en courant, vers la porte de la rue. Nous habitions une maison à un seul étage, dont les fenêtres donnaient sur un assez grand jardin. Le jardinier n’avait pas eu le temps de bien envisager l’inconnu ; il avait remarqué seulement qu’il était de haute taille, maigre, avec un chapeau de paille et une longue redingote.

— Les vêtements du baron ! pensai-je aussitôt.

Le jardinier n’avait pu songer à rattraper l’inconnu, d’autant plus qu’on l’avait aussitôt