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Page:Tourgueniev-Le Rêve.djvu/11

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envoyé chercher le médecin.

J’entrai chez ma mère ; elle était dans son lit, plus pâle que l’oreiller sur lequel reposait sa tête. En m’apercevant elle fit un faible sourire, et me tendit la main. Je m’assis près de son lit et me mis à la questionner avec discrétion. D’abord elle répondit non à toutes mes demandes ; puis enfin, elle avoua qu’elle avait vu quelque chose qui l’avait fort troublée.

— Quelqu’un est entré ici ? demandai-je.

— Non, reprit-elle précipitamment, personne n’est entré. Mais j’ai vu… J’ai cru voir…

Elle se tut, et se couvrit les yeux de la main. J’allais lui transmettre ce que j’avais appris du jardinier, et lui raconter aussi mon entrevue avec le baron, mais, je ne sais pourquoi, les paroles expirèrent sur mes lèvres. Je me décidai pourtant à faire cette observation à ma mère, « que les apparitions de revenants ne se faisaient guère le jour. »

— Laisse, murmura-t-elle ; ne me tourmente pas maintenant. Peut-être plus tard tu sauras…

Elle se tut de nouveau. Ses mains étaient froides ; son pouls battait vite et inégalement. Je lui fis prendre la potion, et m’éloignai de son lit pour ne pas l’agiter. Elle ne se leva pas de toute la journée ; elle restait couchée, immobile, poussant de temps à autre de profonds soupirs et ouvrant tout à coup des yeux épouvantés. Toute la maison était consternée.

VIII

La nuit venue, ma mère ressentit un peu de fièvre. Elle me renvoya. Mais je ne gagnai pas ma chambre et me couchai dans la pièce voisine sur un divan. Tous les quarts d’heure je me levais et m’approchais de la porte sur la pointe des pieds. Aucun bruit. Mais ma mère ne dut pas s’endormir de toute