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Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/10

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même avait soutenu la conversation avec succès et même brillamment, et cependant jamais encore ce tædium vitæ dont parlent déjà les Romains, jamais encore cette « horreur de la vie » ne l’avait si impérieusement dominé, si violemment étreint.

S’il avait été un peu plus jeune, il aurait pleuré d’angoisse, d’ennui, de surexcitation ; une incisive et cuisante amertume, une saveur d’absinthe pénétrait toute son âme. Un sentiment de dégoût, de douleur l’oppressait, l’enveloppait de toutes parts dans un brouillard de nuit d’automne ; — et il ne savait comment se délivrer de cette obscurité ni de cette amertume.

Il ne pouvait pas attendre l’apaisement du sommeil ; il savait qu’il ne dormirait pas.

Il se mit à réfléchir,… avec paresse, lourdement, méchamment.

Il songea à la vanité, à l’inutilité, à la banale fausseté de tout ce qui est humain.

Il passa en revue tous les âges, — lui-même venait d’entrer dans sa cinquante-deuxième année — et il n’en épargna aucun. Toujours le même effort dans le vide, toujours fouetter