Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/117

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

de ne pas badiner sur ce sujet, et pour la première fois de sa vie Sanine découvrit qu’il existe une tristesse qu’il n’est pas possible de consoler ni de dissiper, la tristesse de la vieillesse qui a conscience d’elle-même. Il faut laisser cette impression s’effacer peu à peu.

Sanine proposa à Frau Lénore une partie de « tressette » et c’était tout ce qu’il pouvait trouver de mieux. Madame Roselli accepta cette offre et parut se rasséréner.

La partie dura jusqu’au dîner, et après le repas recommença avec Pantaleone pour troisième partenaire. Jamais le toupet de l’ex-baryton n’était tombé si bas sur le front, jamais son menton ne s’était enfoncé si profondément dans sa cravate ! Chacun de ses mouvements respirait une noble gravité concentrée, et il était impossible de le regarder sans se demander aussitôt : mais quel secret cet homme garde-t-il avec tant de résolution ?

Segredezza ! Segredezza !

Durant toute la journée il multiplia les occasions de témoigner à Sanine l’estime particulière dans laquelle il le tenait. À table il lui passait les plats avant d’avoir servi les dames ;