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Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/334

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les humiliations, toutes les viles tortures de l’esclave, à qui l’on ne permet ni d’être jaloux ni de se plaindre, et qu’on abandonne un jour comme un vêtement usé.

Ensuite vient le retour dans la patrie — la vie brisée, vidée ; le petit train des petites choses, l’amer repentir inutile, et l’oubli non moins amer et non moins inutile.

C’est le châtiment secret mais continuel, de chaque instant, comme une douleur sourde mais inguérissable, l’acquittement sou par sou d’une dette dont on ne peut même pas mesurer l’étendue.

Le calice est rempli… Assez !

Comment se fait-il que la petite croix que Gemma a donnée à Sanine soit encore là ? Pourquoi ne l’a-t-il pas rendue ? Pourquoi jusqu’à ce jour ne l’a-t-il pas retrouvée ?

Sanine resta longtemps, bien longtemps absorbé dans ces réflexions, — et déjà assagi par l’expérience de l’âge, il ne comprend pas comment il a pu abandonner Gemma qu’il a aimée si tendrement et avec tant de passion… pour une femme qu’il n’a jamais aimée ?…