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Page:Tourgueniev - Eaux printanières, trad. Delines, 1894.djvu/65

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quelques soupirs et s’endormit. Gemma s’assit sur un tabouret près de sa mère et resta immobile ; de temps en temps d’une main elle portait un doigt sur ses lèvres, de l’autre elle soutenait l’oreiller derrière la tête de sa mère, et chuchotait d’une voix insaisissable, regardant de travers Sanine, chaque fois qu’il s’avisait de faire un mouvement quelconque.

Bientôt Sanine resta immobile à son tour, comme hypnotisé, admirant de toutes les forces de son âme le tableau que formaient cette chambre à demi-obscure où par-ci par-là rougissaient en points éclatants des roses fraîches et somptueuses qui trempaient dans des coupes antiques de couleur verte, et cette femme endormie avec les mains chastement repliées, son bon visage encadré par la blancheur neigeuse de l’oreiller et enfin ce jeune être tout entier à sa sollicitude, aussi bon, aussi pur et d’une beauté inénarrable avec des yeux noirs, profonds, remplis d’ombre, et quand même lumineux…

Sanine se demandait où il était ? Était-ce un rêve ? Un conte ? Comment se trouvait-il là ?