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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/104

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beaucoup changé depuis dix ans qu’il ne l’avait vue, et quoique de jeune fille elle fût devenue femme. Sa fine taille s’était admirablement développée, le contour de ses épaules, autrefois trop rapprochées, rappelait maintenant ces déesses sortant des nuages qu’on voit sur les plafonds des anciens palais italiens : mais les yeux étaient restés les mêmes, et il sembla à Litvinof qu’ils le regardaient comme autrefois dans la petite maison de Moscou.

— Irène Pavlovna ? répondit-il avec hésitation.

— Vous m’avez reconnue ? Comme je suis contente, comme je suis… Elle s’arrêta, rougit un peu et se redressa. — Quelle agréable rencontre, continua-t-elle en français. Permettez-moi de vous faire faire connaissance avec mon mari. — Valérien, M. Litvinof, un ami d’enfance ; Valérien Vladimirovitch Ratmirof, mon mari.

Un des plus jeunes généraux, celui qui était peut-être le mieux tiré à quatre épingles, se leva et salua Litvinof avec une exquise politesse, tandis que ses confrères, chacun à part soi, se claquemuraient pour ainsi dire dans leur dignité, pressés de protester contre tout rapprochement avec un simple pékin, et que les autres dames du pique-nique se croyaient obligées de cligner de l’œil, de sourire, voire d’exprimer de l’étonnement.

— Y a-t-il longtemps que vous êtes à Baden ? demanda le général Ratmirof, ne sachant évidemment pas de quoi entretenir l’ami d’enfance de sa femme.