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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/114

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est une manifestation de la vie sociale ; voilà ce qu’il ne faut pas perdre de vue ; c’est un symptôme qu’il importe d’étudier.

— Oui, opina le gros général en fronçant le nez ; il est connu que tu vises à être un homme politique.

— Nullement : qu’y a-t-il ici de politique ? mais il faut bien reconnaître la vérité.

Boris recommença à enfoncer ses doigts dans ses favoris et à regarder en l’air.

— La vie sociale, c’est très grave, parce que, dans le développement du peuple, dans les destinées, pour ainsi dire, de la patrie…

— Valérien, interrompit Boris, d’un ton significatif, — il y a des dames ici. Je n’attendais pas cela de toi. Est-ce que tu veux donc faire partie d’un comité ?

— Ils sont tous actuellement fermés, grâce à Dieu, s’empressa de faire observer l’irascible général, et il commença sa scie. « Deux gendarmes, un beau dimanche… »

Ratmirof approcha de son visage un mouchoir de batiste et se tut gracieusement ; le doucereux général répéta :

— Mauvais sujet ! mauvais sujet !

Et Boris se tournant vers une dame, sans baisser la voix ni changer l’expression de son visage, commença à lui demander : « quand elle couronnerait sa flamme, » car il était éperdument épris d’elle et endurait un martyre inconcevable.