Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/115

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Pendant cette conversation, Litvinof se sentait de plus en plus mal à son aise. Il était révolté dans sa fierté, son honnête et plébéienne fierté. Qu’y avait-il de commun entre lui, fils d’un infime fonctionnaire, et ces aristocrates militaires de Pétersbourg ? Il aimait tout ce qu’ils haïssaient, il haïssait tout ce qu’ils aimaient ; il comprenait cela trop clairement, il sentait cela de toutes les forces de son être. Il trouvait leurs plaisanteries plates, leur ton insupportable, leurs manières frelatées ; dans la douceur même de leurs paroles perçait un mépris insultant, et cependant il semblait intimidé devant eux, devant ces hommes, devant ces ennemis…

— Quelle bêtise ! se disait-il ; je les gêne, je leur parais ridicule ; pourquoi donc est-ce que je reste ici ? allons-nous-en.

La présence d’Irène ne pouvait l’arrêter : elle ne lui causait que de pénibles impressions. Il se leva et commença à prendre congé.

— Vous vous en allez déjà ? dit Irène ; mais, après un moment de réflexion, elle n’insista pas et lui fit seulement promettre qu’il viendrait la voir. Le général Ratmirof lui rendit son salut avec la politesse qui le distinguait, lui serra la main et le reconduisit jusqu’au bout de la terrasse ; mais Litvinof avait à peine dépassé le détour de la première allée, qu’il entendit des rires éclater. Ces rires ne s’adressaient pas à lui, ils étaient provoqués par l’apparition subite du si désiré M. Verdier, monté