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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/138

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CHAPITRE XII


Litvinof était aussi mécontent de lui-même que s’il avait perdu à la roulette ou n’avait pas tenu une parole donnée. Une voix intérieure lui disait qu’il ne convenait pas à un fiancé, à un homme de son âge, de se laisser entraîner à la curiosité ou à la séduction des souvenirs. « Pourquoi aller chez elle ! se disait-il. De sa part, ce n’est que coquetterie, lubie, caprice. Elle s’ennuie ; elle s’est accrochée à moi, comme il prend parfois fantaisie à un gourmand de manger du pain noir. Pourquoi y suis-je allé ? Comme si je pouvais… ne pas la mépriser ? » Ce ne fut pas sans effort qu’il prononça même mentalement ces derniers mots. « Sans doute, continua-t-il, il n’y a et il ne peut y avoir aucun danger ; je sais à qui j’ai affaire, mais il ne faut pas jouer avec le feu, et je n’y mettrai plus les pieds. Litvinof n’osait pas, ne pouvait pas encore s’avouer jusqu’à quel point Irène lui avait paru belle et avait réveillé ses anciens sentiments.

La journée lui sembla mortellement longue. À dîner, le sort le plaça à côté d’un beau monsieur à grosses moustaches, qui ne desserra pas les dents