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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/151

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russes ! Je connais l’enflure russe, je connais aussi son impuissance, mais, Dieu me pardonne, je n’ai jamais rencontré ses beaux-arts. Vingt années durant on s’est tenu agenouillé devant Brulof, devant cette nullité prétentieuse, et on s’est imaginé qu’il s’était formé chez nous une école supérieure à toutes les autres… Les beaux-arts russes ! ah ! ah ! ah ! hi ! hi !

— Cependant permettez, Sozonthe Ivanovitch, remarqua Litvinof, est-ce que vous n’admettriez pas même Glinka ?

Potoughine se gratta l’oreille.

— Les exceptions, vous le savez, ne font que confirmer la règle. Dans le cas même que vous me citez, nous n’avons pas encore pu nous garer de la fanfaronnade. Si l’on s’était borné, par exemple, à dire que Glinka a été réellement un musicien remarquable, que les circonstances et ses propres fautes ont empêché de devenir le fondateur de l’opéra russe, personne ne le contesterait ; mais non, impossible de rester dans la mesure. Incontinent il a fallu l’élever au grade de général en chef, de grand-maréchal dans la partie musicale, prétendre que les autres nations n’ont rien de pareil… Et, comme preuve, on vous cite quelque grand génie du cru dont les « sublimes productions » ne sont qu’une pitoyable imitation des compositeurs étrangers de second ordre… de second ordre, remarquez-le bien ; — car ceux-là sont les plus faciles à imiter. Rien de pareil ! Ô malheureux barbares qui comprennent la perfection dans l’art comme s’il s’agissait du saltimbanque