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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/156

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votre attention sur le phénomène suivant : tous les animaux carnassiers et pillards, les oiseaux de proie, tous ceux qui vivent de proie, travaillent à procurer de la nourriture à leurs petits comme à eux-mêmes… Or vous classez l’homme parmi ces animaux ? — Sans doute, répliqua mon gars, l’homme n’est en général qu’un animal carnassier. — Et pillard, ajoutai-je. — Et pillard, affirma-t-il. — C’est parfaitement dit, poursuivis-je. Je m’étonne donc que vous n’ayez pas remarqué que tous ces animaux vivent en monogamie. » Le blanc-bec fit un soubresaut. « Comment cela ? — Mais comme cela : voyez le lion, le loup, le renard, le vautour, comment pourraient-ils se conduire autrement, veuillez y réfléchir ? C’est à peine s’ils peuvent à deux nourrir leurs petits. » Le blanc-bec devint rêveur. « Dans ce cas, reprit-il, l’animal n’est pas un modèle pour l’homme. » Ici, je le qualifiai d’idéaliste ; il en fut tellement mortifié qu’il faillit fondre en larmes ; je fus obligé de le calmer, de lui promettre que je n’en dirais rien à ses camarades. Mériter la qualification d’idéaliste, ce n’est pas une bagatelle ! Voyez-vous, monsieur, la jeunesse d’aujourd’hui s’est trompée dans son calcul. Elle s’est imaginé que la précédente époque de travail obscur et souterrain était passée ; que c’était bon pour nos vieux pères de creuser comme des taupes, que ce rôle est pour nous autres trop humiliant ; nous devons agir en plein air… Nous agirons… Chères petites colombes ! vos enfants mêmes n’agiront pas encore, et, pour vous, veuillez