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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/158

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cée ; ce qu’on appelle notre littérature épique, seule parmi toutes les autres d’Europe et d’Asie, ne fournit pas un couple typique d’êtres qui s’aiment ; le héros de la « sainte Russie » commence toujours ses relations avec celle que le sort lui destine par la maltraiter sans merci. Mais je ne veux pas discourir sur tout cela ; je prendrai uniquement la liberté d’attirer votre attention sur la peinture que fait du « jeune premier » le Slave primitif et incivilisé. Voyez : le jeune premier s’avance ; il s’est donné « une pelisse de martre piquée sur toutes les coutures ; une ceinture de soie bigarrée prend sa taille sous les aisselles, ses mains sont enfouies dans ses manches ; le collet de sa pelisse, plus haut que son chef, cache par devant son visage vermeil et par derrière son col blanc ; son chapeau est planté sur une oreille ; des bottes de maroquin enveloppent ses jambes ; elles se relèvent en pointe d’alène ; leurs talons sont si hauts qu’un moineau passerait, ailes déployées, sous le milieu de la botte. »

Voilà l’idéal poétique du russe incivilisé. Eh bien ! ce modèle est-il joli ? Offre-t-il beaucoup de matériaux pour le peintre et le sculpteur ? Et la jeune fille qui captive le jeune homme et qui a un teint comme du sang de lièvre… Mais il me semble que vous ne m’écoutez pas ?

Litvinof tressaillit. Il n’écoutait pas, en effet, ce que lui disait Potoughine ; il songeait, songeait obstinément à Irène, à sa dernière entrevue.