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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/183

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Irène, à son tour, ne put achever sa phrase, et, s’appuyant sur le dossier du fauteuil, elle porta ses deux mains à ses yeux.

— Vous… m’aimez ?

— Oui… oui… oui ! répéta-t-il avec dureté, en détournant de plus en plus son visage.

Le silence régnait dans le salon ; un papillon agitait ses ailes et se débattait entre le rideau et la fenêtre. Litvinof reprit le premier la parole.

— Voilà, Irène Pavlovna, voilà le malheur qui m’a… frappé, que j’aurais dû prévoir et éviter, si, comme naguère à Moscou, je n’eusse été tout de suite entraîné par le torrent. Il paraît que le sort a voulu me faire encore éprouver, et toujours par vous, des tourments qui semblaient ne pouvoir se renouveler… J’ai résisté, j’ai essayé de résister, mais on ne peut se soustraire à ce qui doit arriver. Je vous dis tout cela pour terminer plus vite cette… cette tragi-comédie, ajouta-t-il avec une nouvelle explosion de violence et de honte.

Litvinof s’arrêta. Le papillon continuait à se heurter contre la fenêtre. Irène n’ôtait pas ses mains de son visage.

— Et vous ne vous trompez pas ?… Ces mots sortirent entre ses mains si blanches qu’on aurait juré qu’elles n’avaient pas une goutte de sang.

— Je ne me trompe pas, répondit Litvinof d’une voix sourde. Je vous aime comme jamais je n’ai aimé personne. Je ne vous adresserai pas de reproches, ce serait trop absurde ; je ne vous répéterai