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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/182

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— Merci d’être venu, lui dit-elle d’une voix dolente, et elle se laissa tomber dans un fauteuil. Je ne suis pas tout à fait bien portante aujourd’hui ; j’ai passé une nuit sans sommeil. Eh bien ! que dites-vous de la soirée d’hier ? n’avais-je pas raison ?

Litvinof s’assit.

— Je suis venu, Irène Pavlovna, commença-t-il…

Elle se redressa et regarda fixement Litvinof.

— Qu’avez-vous ? s’écria-t-elle. Vous êtes pâle comme un mort. Vous êtes malade. Qu’avez-vous ?

Litvinof se troubla.

— Ce que j’ai, Irène Pavlovna ?

— Vous avez reçu une mauvaise nouvelle ? Il est arrivé un malheur, dites, dites ?

Litvinof, à son tour, regarda Irène.

— Je n’ai reçu aucune nouvelle, répondit-il non sans effort ; mais un malheur est en effet arrivé, un grand malheur… et c’est ce qui m’amène auprès de vous.

— Un malheur ? et lequel ?

— Voilà… C’est que…

Litvinof voulut continuer, mais cela lui fut impossible. Il serrait tellement ses mains que ses doigts en craquèrent. Irène se pencha en avant.

— Ah ! je vous aime ! dit Litvinof, avec un gémissement sourd, comme si ces mots eussent été violemment arrachés de sa poitrine.

Et il se retourna comme pour cacher son visage.

— Comment, Grégoire Mikhailovitch, vous…