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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/199

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blait avoir surpris et troublé Tatiana. Elle le regardait toujours avec autant de sérénité et de confiance, rougissait aussi gracieusement, riait d’aussi bon cœur. Il se décida à la regarder, non à la dérobée, mais fixement ; ses yeux, jusqu’alors, lui avaient été rebelles. Une compassion involontaire saisit son âme : l’expression si calme de ce franc et loyal visage lui donna comme un amer remords. « Tu es venue ici, pauvre jeune fille, pensait-il, toi, que j’ai tant attendue et appelée, avec laquelle je voulais vivre toute ma vie, tu es arrivée, tu as eu confiance en moi, et moi… et moi… » Litvinof baissa la tête, mais Capitoline Markovna ne lui laissa pas le loisir de se replonger dans ses rêveries et l’accabla de questions… « Qu’est-ce que c’est que ce bâtiment avec des colonnes ? Où joue-t-on ici ? Qui est-ce qui va là ? Tatiana, Tatiana, regarde quelles crinolines ! Et qui est celle-là ? Il doit y avoir ici beaucoup de Françaises de Paris ? Seigneur, quel chapeau ! On peut ici tout trouver comme à Paris ? J’imagine seulement que tout est très cher ? Ah ! quelle excellente et intelligente femme j’ai rencontrée ! Vous la connaissez, Grégoire Mikhailovitch, elle m’a dit vous avoir vu chez un Russe également de beaucoup d’esprit. Elle a promis de venir nous voir. Comme elle habille tous ces aristocrates ; c’est merveilleux ! Qu’est-ce que c’est que ce monsieur à moustaches grises ? Le roi de Prusse ? Tatiana, Tatiana, regarde, c’est le roi de Prusse. Non ? Ce n’est pas le roi de Prusse ? C’est