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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/200

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l’ambassadeur des Pays-Bas ? Je n’entends pas, ces roues font tant de bruit. Ah ! quels beaux arbres ?

— Oui, tante, ils sont superbes, remarqua Tatiana, et comme tout ici est vert et gai ! N’est-il pas vrai, Grégoire Mikhailovitch ?

— Très gai…, » répondit-il entre ses dents.

La voiture s’arrêta devant l’hôtel. Litvinof conduisit les voyageuses dans l’appartement qui leur avait été retenu, promit de revenir dans une heure, et rentra dans sa chambre. Dès qu’il y remit le pied, il fut ressaisi par le charme magique un moment dissipé. Irène régnait dans cette chambre depuis la veille ; tout y parlait d’elle. Litvinof se sentit de nouveau son esclave. Il prit le mouchoir d’Irène, caché sur sa poitrine, l’approcha de ses lèvres, et d’ardents souvenirs parcoururent ses veines comme un subtil venin. Il comprit qu’il n’y avait plus de retour, plus de choix : la compassion douloureuse provoquée par la vue de Tatiana fondit comme de la neige au feu, et le repentir se tut, se tut si complètement que tout trouble s’apaisa en lui, et que la nécessité de feindre, en se présentant à son esprit, ne lui causait plus aucun dégoût. Aimer Irène, voilà ce qui était devenu son droit, sa loi, sa conscience. Lui, si prudent et raisonnable, il ne songeait même plus comment il sortirait d’une position dont l’horreur et l’absurdité ne pesaient plus sur lui que fort légèrement, et comme s’il s’agissait d’un autre. Une heure ne s’était pas