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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/201

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écoulée, lorsque le garçon se présenta de la part des nouvelles arrivées : elles le priaient de venir les rejoindre dans la salle commune. Il suivit leur messager, et les trouva déjà habillées et en chapeaux. Toutes deux exprimèrent le désir de profiter du beau temps pour jeter un premier coup d’œil sur Bade. Capitoline Markovna grillait particulièrement d’impatience ; elle eut même un peu d’humeur en apprenant que ce n’était pas encore l’heure où le monde fashionable se réunissait devant la Conversationhaus. Litvinof lui offrit le bras, et la promenade officielle commença. Tatiana marchait à côté de sa tante et regardait avec une calme curiosité tout ce qui l’entourait ; Capitoline Markovna continuait ses questions. À la vue de la roulette, des croupiers si distingués que, si elle les avait rencontrés ailleurs, elle les aurait assurément pris pour des ministres, à la vue de leurs petits râteaux toujours en mouvement, des tas d’or et d’argent sur le tapis vert, des vieilles et des jeunes femmes qui jouaient, Capitoline Markovna tomba dans une muette extase ; elle oublia complètement qu’il lui convenait de s’indigner, et n’eut pas assez d’yeux pour tout examiner, tressaillant à chaque nouvel appel de numéros. Le bourdonnement de la boule d’ivoire dans la roulette pénétrait jusque dans la moelle de ses os ; ce n’est que revenue au grand air qu’elle eut assez de force pour appeler, en exhalant un profond soupir, les jeux de hasard, une invention immorale de l’aristocratie. Un sourire