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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/209

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de tout. Et quant aux machines à coudre, il faudra s’en procurer aussitôt après les noces. — Potoughine se retira, Litvinof conduisit les dames à la maison. À la porte de l’hôtel, on lui remit un billet ; il s’écarta et déchira précipitamment l’enveloppe. Sur un petit morceau de vélin, il y avait ces mots tracés au crayon : « Venez ce soir à sept heures chez moi pour une minute, pour une minute, je vous en supplie. » Litvinof enfonça le papier dans sa poche et, se retournant, il sourit de nouveau… à qui, et pourquoi ? Tatiana lui tournait le dos. Ils dînèrent à table d’hôte. Litvinof était placé entre Capitoline Markovna et Tatiana ; il se mit à jaser, à débiter des anecdotes, il se versait du vin et n’en laissait pas manquer les dames. Il avait brusquement pris, avec une animation étrange, un ton si leste qu’un officier d’un régiment de ligne en garnison à Strasbourg, avec des moustaches à la Napoléon, assis vis-à-vis de lui, crut pouvoir se mêler à la conversation et finit par proposer un toast à la santé des belles Moscovites ! Après dîner, Litvinof reconduisit les deux dames dans leur chambre ; il resta un moment auprès de la fenêtre, d’un air morose, et déclara tout à coup qu’une affaire l’obligeait à s’absenter, mais qu’il reviendrait certainement le soir. Tatiana ne dit rien, pâlit et baissa les yeux. Capitoline Markovna avait l’habitude de faire la sieste après dîner ; Tatiana savait que Litvinof ne l’ignorait pas ; elle espérait qu’il en profiterait, qu’il resterait, car il n’avait