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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/21

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chez lui a survécu au naufrage de son christianisme, c’est la résignation, et de la piété chrétienne il a gardé la meilleure part qui est la pitié : comme tous les grands écrivains russes, il a conservé la religion de la souffrance humaine.

V.

Tous ces traits de la physionomie morale et de la personnalité de l’écrivain que nous venons d’analyser se retrouvent dans Fumée avec le milieu même qui les explique.

Nous y retrouvons comme dans tous les romans de Tourguéneff une crise individuelle se compliquant d’une crise sociale. Au premier plan, une histoire simple comme l’auteur les aime, un amour malheureux par la faiblesse de l’homme et la coquetterie de la femme, le conflit entre un caractère tendre et passionné et un caractère fantasque, violent et despote ; au second plan, une satire politique, des tableaux de mœurs russes saisissants de vérité, des types représentatifs, des rêveurs divaguant perpétuellement sur l’avenir de la Russie et impuissants contre le présent.

Et nous retrouvons dans Fumée l’atmosphère de mélancolie et de désespérance que suggère le titre même du livre. Ce sont les longs espoirs et les vastes desseins de la Russie qui se sont dissipés en « fumée ». Tourguéneff reprend dans Fumée un thème qu’il avait déjà abordé dans Pères et Enfants. Une immense déception a succédé aux illusions des libéraux. Réformes et révolutions ont lamentablement échoué par la faute des réformateurs et des révolutionnaires, par leur manque de caractère, par leur violence stérile, par leur absence de sens