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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/243

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qu’elle savait tout : les yeux de la pauvre vieille fille étaient gonflés ; son visage en feu exprimait l’indignation, l’angoisse, la stupéfaction. Elle voulut s’élancer vers Litvinof, mais s’arrêta et, mordant ses lèvres tremblantes, elle le regarda comme si elle avait voulu et le supplier, et le tuer, et se convaincre que tout cela était un rêve, une folie, une chose impossible.

— Vous venez, vous venez, s’écria-t-elle.

La porte de la chambre voisine s’entr’ouvrit, et Tatiana, pâle mais très calme, entra sans bruit. Elle prit doucement sa tante par la main et l’assit à côté d’elle.

— Asseyez-vous aussi, Grégoire Mikhailovitch, dit-elle à Litvinof, qui se tenait comme une statue à la porte. Je suis très heureuse de vous voir encore une fois. J’ai communiqué à ma tante ma décision, notre décision ; elle l’approuve complètement… Sans un mutuel amour il ne peut y avoir de bonheur ; l’estime ne suffit pas (au mot d’estime, Litvinof baissa involontairement les yeux) et il vaut mieux se séparer maintenant que de se repentir ensuite. N’est-il pas vrai, tante ?

— Sans doute, commença Capitoline Markovna, sans doute, Tanioucha, celui qui ne sait pas t’apprécier… celui qui s’est décidé…

— Tante, coupa court Tatiana, souvenez-vous de ce que vous m’avez promis. Vous m’avez toujours dit vous-même : la vérité, Tatiana, la vérité avant tout, et la liberté. Eh bien, la vérité n’est pas