Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/252

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Cette lettre ne plut pas beaucoup à Litvinof ; elle ne rendait pas exactement ce qu’il voulait dire, il s’y trouvait quelques expressions forcées ; enfin elle ne valait guère mieux que celles qu’il avait déchirées, mais elle renfermait le plus important, et Litvinof, épuisé, harassé, ne se sentait plus capable de tirer de sa tête quelque chose de meilleur. Il ne savait pas donner à sa pensée une forme littéraire, et, comme tous ceux qui n’ont pas l’habitude d’écrire, le style le préoccupait beaucoup trop. Sa première lettre valait assurément mieux ; elle découlait plus naturellement du cœur. Quoi qu’il en soit, Litvinof expédia son épître à Irène. Elle lui répondit par un court billet :

« Viens aujourd’hui chez moi ; il est absent pour toute la journée. Ta lettre m’a extraordinairement troublée. Je ne fais que penser, penser… Et la tête m’en tourne. J’ai un grand poids sur le cœur ; mais tu m’aimes, et je suis heureuse. Viens. »

Elle était dans son boudoir lorsque Litvinof entra chez elle. La même petite fille qui l’avait guetté la veille sur l’escalier l’introduisit. Sur la table était ouvert un carton rond rempli de dentelles ; elle les retournait négligemment d’une main, et de l’autre tenait la lettre de Litvinof. Elle avait à peine fini de pleurer : ses cils étaient encore humides, ses paupières gonflées ; on voyait sur ses joues les raies que laissent les larmes. Litvinof s’arrêta sur le seuil de la porte ; elle ne l’apercevait pas.