Aller au contenu

Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/259

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

kloma ou de Sizranck, où, d’après un voyageur, il arrive aux gens d’avoir le mal de mer, à force d’ennui. Litvinof se souvint de l’aventure d’un de ses amis, le cornette en retraite Batzof, qui enleva, dans un équipage attelé de trois chevaux, avec des grelots, la fille d’un marchand, après avoir préalablement enivré ses parents et la fiancée elle-même. Il advint qu’on l’avait pris au piège et qu’il faillit, par-dessus le marché, être roué de coups. Litvinof se fâcha violemment contre lui-même pour cette réminiscence si déplacée, et alors lui revint en mémoire Tatiana, son brusque départ, toute cette douleur, toute cette souffrance et toute cette honte, et il ne comprit que trop bien que l’affaire dans laquelle il s’était embarqué n’était pas une plaisanterie, qu’il avait eu bien raison de dire à Irène que pour son propre honneur il ne lui restait pas d’autre issue… Et de nouveau, à ce seul nom d’Irène, quelque chose de brûlant et de doux s’enroula d’une étreinte irrésistible autour de son cœur.

Un bruit de chevaux se fit entendre ; il se rangea. Irène passa à côté de lui, en compagnie du général obèse. Elle reconnut Litvinof, lui fit un signe de tête, et, cinglant son cheval, elle le mit au galop et le lança à toute vitesse. Le vent soulevait son grand voile sombre. « Pas si vite ! sabre de bois ! pas si vite ! » criait le général en essayant de la rejoindre.