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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/260

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CHAPITRE XXIV


Le lendemain matin, Litvinof venait encore de s’entretenir avec son banquier sur le peu de fermeté de notre change et sur le meilleur moyen de recevoir de l’argent, lorsque le suisse lui remit une lettre. Il reconnut l’écriture d’Irène et, sans briser le cachet, — agité par un mauvais pressentiment, — il gagna sa chambre. La lettre était écrite en français et conçue en ces termes :

« J’ai songé toute la nuit à ta proposition… je vais te parler sans détour. Tu as été franc avec moi, je serai franche avec toi : je ne puis m’enfuir avec toi, je n’en ai pas la force. Je sens combien je suis coupable vis-à-vis de toi, — ma seconde faute est plus grande que la première ; — je me méprise, je m’accable de reproches, mais je ne saurais me changer. C’est en vain que je me dis que j’ai détruit ton bonheur, que tu es maintenant réellement en droit de ne voir en moi qu’une coquette, que j’ai tout fait, que je t’ai donné une promesse solennelle… Je suis saisie d’effroi, je me fais horreur à moi-même, mais je ne puis agir autrement ; je ne puis, je ne puis. Je ne chercherai pas d’excuse, je ne te dirai pas que je me suis laissé entraîner… tout cela ne signifie rien ; mais je veux te répéter encore une fois que je suis à toi, à toi pour toujours ; dispose de moi comme tu voudras. Mais fuir, tout abandonner… non ! non ! non ! Je t’avais supplié