Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/275

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— Mais laissez-le donc, Rostislaf Ardalionitch, dit madame Soukhantchikof. Vous voyez ce que c’est que cet homme, toute cette race est comme cela. Il a une tante ; elle m’a paru d’abord bonne femme, et je suis venue ici avec elle il y a deux jours ; elle n’avait fait que toucher barre à Bade et revenait déjà. Eh bien ! je fais route encore avec elle, je me mets à la questionner. Figurez-vous que je n’ai pu tirer une syllabe de cette orgueilleuse, odieuse aristocrate !

La pauvre Capitoline Markovna, une aristocrate ! pouvait-elle s’attendre à semblable humiliation ?

Et Litvinof se taisait toujours, se détournait et enfonçait sa casquette sur ses yeux. Le train se remit en marche.

— Mais dis-nous donc quelque chose pour adieu, homme de pierre que tu es ! cria Bindasof. On n’agit vraiment pas ainsi ! marmotte ! bonnet de nuit ! ajouta-t-il.

Le train accélérait sa marche, il pouvait impunément être grossier.

— Harpagon ! limace ! N. B.

Bindasof avait-il inventé spontanément cette dernière qualification ? l’avait-il volée à quelqu’un ? je l’ignore ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’elle parut si jolie à deux messieurs distingués, spirituels et jeunes, étudiant les sciences naturelles, deux messieurs qui se trouvaient là, que peu de jours après elle fit son apparition dans la feuille russe périodique