Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/274

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sortes de journaux, même des journaux russes ; les voyageurs changèrent de place, se promenèrent sur la plate-forme ; mais Litvinof ne quitta pas son coin ; il y restait assis, la tête inclinée. Tout à coup il entendit prononcer son nom ; il leva la tête ; la face de Bindasof se montra à la portière et derrière elle, était-ce une hallucination ? mais non, c’était bien une réalité, apparurent toutes les figures bien connues de Bade : voilà madame Soukhantchikof, voici Vorochilof et Bambaéf ; tous se dirigent vers lui, tandis que Bindasof braille :

— Où est Pichtchalkin ? nous l’attendions ; mais c’est égal, sors, nous allons tous chez Goubaref.

— Oui, frère, oui, Goubaref nous attend, descends, répéta Bambaéf en agitant les bras.

Litvinof se serait mis en colère, s’il n’avait eu sur le cœur un si mortel fardeau. Il dévisagea Bindasof et se détourna en silence.

— On vous dit que Goubaref est ici, s’écria madame Soukhantchikof, et ses yeux sortirent presque de leur orbite.

Litvinof ne bougea point.

— Mais écoutez, Litvinof, dit Bambaéf, revenant à la charge, il n’y a pas ici seulement Goubaref, il y a toute une phalange de Russes distingués, spirituels et jeunes ; tous s’occupent de sciences naturelles, tous ont les plus généreuses convictions ! De grâce, restez du moins pour eux. Il y a ici, par exemple, un certain… ah ! j’ai oublié son nom ! c’est tout simplement un génie !