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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/44

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— Il l’ôta et la prit. Et voilà ce qu’a fait le prince Barnaoulof, le fameux richard, le grand seigneur, muni de pouvoirs extraordinaires et représentant le gouvernement ! Qu’y a-t-il après cela à espérer ?

Tout le corps chétif de madame Soukhantchikof tremblait d’émotion, son visage était crispé, sa maigre poitrine soulevait son corset plat, ses yeux semblaient sortir de leur orbite, danger qu’ils couraient, d’ailleurs, quel que fût l’objet de la conversation.

— C’est une affaire qui crie vengeance, s’écria Bambaéf. Il n’y a pas de châtiment assez terrible pour cela !

— Hm… hm… Du haut en bas tout est pourri, remarqua Goubaref sans élever la voix. Ce n’est pas un châtiment qui est nécessaire ici, mais une autre mesure.

— Mais est-ce bien vrai ? dit Litvinof.

— Si c’est vrai ! s’écria madame Soukhantchikof. Mais il est impossible d’en douter. — Elle prononça cet impossible avec une telle énergie qu’elle se plia en deux. — Je le tiens du plus véridique des hommes. Mais vous le connaissez, Étienne Nikolaévitch, c’est Hélistratof Capiton, et lui le tenait de témoins oculaires de cette scène dégoûtante.

— Quel Hélistratof ? demanda Goubaref. Est-ce celui qui était à Kazan ?

— Celui-là même. Je sais qu’on a répandu le bruit qu’il avait pris là de l’argent des fermiers de l’eau-de-vie, mais qui est-ce qui a dit cela ?