Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/79

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sous la fenêtre, il se serait élancé dedans avec horreur, mais sans regret. Irène se plaça non loin de lui et se tint en silence sans remuer. Il y avait déjà plusieurs jours qu’elle ne lui avait soufflé mot et qu’elle n’avait du reste parlé à personne : elle demeurait assise, les bras croisés, paraissant indifférente à tout ce qui se passait dans la maison, et promenant lentement autour d’elle des regards étonnés. Ce supplice finit par n’être plus supportable ; Litvinof se leva et, sans prendre congé, se mit à chercher son chapeau. — « Restez, » dit tout à coup Irène à voix basse. — Litvinof tressaillit, il ne reconnut pas tout d’abord cette voix : quelque chose d’extraordinaire se révélait dans ce seul mot. Il leva la tête et demeura stupéfait : Irène le regardait avec bienveillance. « Restez, répéta-t-elle, ne vous en allez pas. J’ai à vous parler. » Et baissant encore la voix : « Ne vous en allez pas, je le veux. » Ne comprenant rien, sans se rendre compte de ses mouvements, il s’approcha d’elle, lui tendit la main… elle lui donna les deux siennes, puis sourit, se leva brusquement, se détourna et, sans cesser de sourire, sortit de la chambre. Au bout de quelques minutes, elle revint avec sa sœur cadette, lui jeta de nouveau un long regard et le fit asseoir à côté d’elle. Elle ne put d’abord rien dire, elle soupirait et rougissait ; prenant enfin courage, elle le questionna sur ses occupations, ce qui ne lui était jamais arrivé. Le soir, elle s’excusa à plusieurs reprises de n’avoir pas su l’apprécier jusqu’à ce jour, l’assura