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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/83

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— Qu’est-ce ? cette robe… je ne saisis pas…

— Ce qu’il y a ? C’est que je n’en ai pas d’autre, qu’elle est vieille, laide, et que je suis obligée de mettre cette robe chaque jour… même quand tu… quand vous venez… tu finiras par ne plus m’aimer en me voyant si déguenillée !

— De grâce, Irène, que dis-tu ? Cette robe est charmante ; elle m’est d’autant plus précieuse que c’est celle que tu portais la première fois que je te vis.

Irène rougit.

— Ne me rappelez pas, je vous prie, Grégoire Mikhailovitch, que déjà alors je n’avais pas d’autre robe.

— Mais je vous assure, Irène Pavlovna, qu’elle vous sied à ravir.

— Non, elle est affreuse, horrible, répétait-elle en tirant nerveusement sa longue et soyeuse chevelure. Oh ! quelle pauvreté ! quelle obscurité ! Comment se délivrer de cette pauvreté ? comment sortir de cette obscurité ?

Litvinof ne savait que dire ; il s’éloigna quelque peu. Tout à coup Irène sauta de dessus sa chaise et, posant ses deux mains sur ses épaules, elle lui dit en approchant de lui son visage et des yeux qui, encore humides, étincelaient de bonheur :

— Mais tu m’aimes, tu m’aimes, n’est-ce pas ? même avec cette abominable robe ?

Litvinof se jeta à ses genoux.

— Ah ! murmura-t-elle, aime-moi, mon ami, mon sauveur !