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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/82

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froissements ne tardèrent pas à se faire jour. Il accourut une fois chez elle sortant directement de l’Université, en redingote râpée, les mains pleines d’encre. Elle alla à sa rencontre avec son empressement habituel, et tout à coup s’arrêta.

— Vous n’avez pas de gants, dit-elle en appuyant sur chaque mot, et aussitôt elle ajouta : Fi ! que vous êtes… étudiant !

— Vous êtes trop impressionnable, remarqua Litvinof.

— Vous êtes… un vrai étudiant, répéta-t-elle, vous n’êtes pas distingué.

Et, lui tournant le dos, elle sortit de la chambre. Il est vrai qu’une heure après elle le conjurait de lui pardonner. En général, elle reconnaissait facilement ses torts, seulement elle s’accusait de défauts qu’elle n’avait pas, et contestait opiniâtrement ceux qu’elle avait en réalité. Une autre fois, il la trouva tout en larmes, la tête dans ses mains, ses tresses défaites et, lorsque hors de lui il l’interrogea sur le motif de son chagrin, elle lui montra du doigt sa poitrine. Litvinof tressaillit. Elle est poitrinaire, se dit-il, et lui saisissant la main :

— Tu es malade ? lui demanda-t-il d’une voix tremblante (ils se tutoyaient déjà dans les circonstances graves). Je cours chercher le docteur…

Irène ne le laissa pas achever, et frappant du pied avec dépit :

— Je suis très bien portante… mais cette robe… Est-ce que vous ne comprenez pas ?