Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/89

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quet de son visage, elle se mit à regarder encore au loin avec ses yeux étranges qui s’étaient assombris et agrandis, tandis que les bouts de ses rubans, soulevés par un léger souffle d’air, s’agitaient comme des ailes attachées à ses épaules.

Parut le prince, en cravate blanche, habit noir râpé, la médaille de la noblesse attachée à la boutonnière avec un ruban de Saint-Vladimir ; à sa suite entra la princesse, en robe de soie chinée, taillée à l’ancienne mode, qui, avec cet empressement morose sous lequel les mères s’efforcent de cacher leur émotion, se mit à ajuster la jupe de sa fille, c’est-à-dire à lui faire des plis sans aucune nécessité. Les roues d’une voiture de louage, traînée par deux haridelles à longs poils, se mirent à grincer sur la neige gelée près du perron ; un tout petit laquais, affublé d’une livrée fantastique, accourut de l’antichambre et annonça d’un ton désespéré que la voiture était avancée. Après avoir béni les enfants qui restaient à la maison, le prince et la princesse, enveloppés de leurs pelisses se dirigèrent vers le perron ; Irène les suivit en silence, à peine couverte d’un vilain petit manteau pour lequel elle professait une haine implacable. En les reconduisant, Litvinof espérait rattraper un regard d’Irène, mais elle s’assit dans la voiture sans daigner tourner la tête.

Vers minuit, il passa sous les fenêtres de l’Assemblée. Des rideaux rouges n’empêchaient pas les innombrables bougies d’éclairer toute la place, encombrée d’équipages, et l’on entendait au loin les