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Page:Tourgueniev - Fumée.djvu/90

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accords insolemment joyeux des valses de Strauss.

Le lendemain à une heure, Litvinof entra chez les Osinine. Il ne trouva à la maison que le prince, qui lui annonça tout de suite qu’Irène avait mal à la tête, qu’elle était couchée et ne se lèverait pas avant le soir, ajoutant que cette indisposition n’était pas d’ailleurs extraordinaire après un premier bal.

« C’est très naturel, vous savez, dans les jeunes filles, continua-t-il en français, à l’étonnement de Litvinof, qui remarqua en ce moment que le prince n’était pas en robe de chambre, selon son habitude, mais en redingote. Et comment, poursuivit Osinine, ne pas tomber malade, après les événements d’hier !

— Des événements ? balbutia Litvinof.

— Oui, des événements, de vrais événements. Vous ne sauriez vous imaginer, Grégoire Mikhailovitch, quel succès elle a eu ! Toute la cour l’a remarquée. Le prince Alexandre Feodorovitch a dit que sa place n’était pas ici, et qu’elle lui rappelait la comtesse de Devonshire, vous savez, la célèbre ? Le vieux comte Blasenkrampf a déclaré hautement qu’Irène était la reine du bal, et a exprimé le désir de lui être présenté ; à moi aussi il a été présenté, c’est-à-dire il m’a dit qu’il se souvenait de m’avoir vu hussard, et m’a demandé où je servais maintenant. Il est très amusant ce comte, et quel adorateur du beau sexe ! Que vous dirais-je ? on ne laissait pas même de repos à la princesse : Nathalie Nikitichna elle-même, s’est entretenue avec elle ; que voulez-vous de plus ? Irène a dansé avec tous les meilleurs cava-