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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/110

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Entre autres choses non mains singulières, le ministre de la justice disait :

« Le projet assujettit à l’imposition pour le remplacement des corvées tous les propriétaires de biens-fonds et de droits réels, privilégiés et non privilégiés. Il veut que la répartition en soit faite en proportion de l’étendue et de la valeur des fonds. — J’observerai qu’il peut être dangereux de détruire absolument tous ces privilèges. Je ne parle pas de ceux qui sont attachés à certains offices, que je ne regarde que comme des abus acquis à paix d’argent, que comme de véritables privilèges ; mais je ne puis me refuser à dire qu’en France le privilège de la noblesse doit être respecté, et qu’il est, je crois, de l’intérêt du roi de le maintenir. »

À quoi Turgot répondait :

« Qu’est-ce que l’impôt ? Est-ce une charge imposée par la force à la faiblesse ? Cette idée serait analogue à celle d’un gouvernement fondé uniquement sur le droit de conquête. Alors le prince serait regardé comme l’ennemi commun de la société ; les plus forts s’en défendraient comme ils pourraient, les plus faibles se laisseraient écraser. Alors il serait tout simple que les riches et les puissants fissent retomber toute la charge sur les faibles et les pauvres, et fussent très-jaloux de ce privilège. — Ce n’est pas l’idée qu’on se fait d’un gouvernement paternel, fondé sur une constitution nationale où le monarque est élevé au-dessus de tous pour le bonheur de tous …. Les dépenses du gouvernement ayant pour objet l’intérêt de tous, tous doivent y contribuer ; et plus on jouit des avantages de la société, plus on doit se tenir honoré d’en partager les charges. Il est difficile que, sous ce point de vue, le privilège pécuniaire de la noblesse paraisse justes[1], »

Malgré les observations de M. de Miroménil, qu’il faut lire d’un bout à l’autre pour avoir la mesure de l’impudeur que les intérêts privés les plus contraires à la justice apportent dans leur défense, le roi approuva, le 6 fèvrier, les édits préparés

  1. Observations du garde des sceaux et contre-observations de Turgot, sur la suppression de la corvée, tome II, pages 269 et 270.