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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/119

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cause d’infidélités graves, renvoyer de ses bureaux. Le budget de 1776 présentait un déficit de 24 millions, parce que Turgot y avait compris 10 millions pour continuer le remboursement de la dette exigible, et parce qu’un homme de son caractère ne s’abaissait pas jusqu’à l’art de faire dire aux chiffres autre chose que la vérité. Les deux examinateurs s’étant accordés à merveille pour charger ce travail de critiques qui tendaient à faire croire que le déficit se perpétuerait indéfiniment, Maurepas mit leurs observations sous les yeux du roi. Mais, soit que le prince eût soupçonné l’intrigue, soit plutôt que l’impuissance personnelle de se former une conviction eût tenu son esprit en suspens, la ruse employée par l’ambitieux vieillard demeura sans effet. On eut alors recours à un autre expédient.

On envoyait de Paris à Vienne, rapporte Dupont de Nemours, des lettres que l’on y faisait mettre à la poste à l’adresse de Turgot, et qui paraissaient lui être écrites par un ami intime qui ne signait point. De la même officine sortaient les réponses à ces lettres, tournées avec assez d’art pour qu’on pût les croire l’œuvre de l’homme à qui on les attribuait. L’absence de signature était expliquée d’une manière plausible, et ces réponses furent d’abord tout à fait inoffensives. Mais, plus tard, on leur fit accuser de l’humeur, et l’on finit par y mêler des sarcasmes contre la reine, des plaisanteries contre le premier-ministre, et des paroles blessantes pour le roi. Toute cette correspondance était portée à Louis XVI : il la communiquait à Maurepas, qui n’exprimait pas, on le pense bien, des doutes trop fermes sur son authenticité. On interceptait également d’autres lettres, vraies ou fausses, où les accusations les plus alarmantes étaient portées contre le contrôleur-général[1].

  1. Le récit de Dupont de Nemours a pour base le témoignage de M. d’Angiviller, à qui Louis XVI, dans un moment d’épanchement, fit pari de ses griefs contre Turgot, fondés sur les faits qu’on vient de lire. E(, certes, ce n’est pas la moralité de l’époque qui peut rendre ce récit invraisemblable. On sait, d’ailleurs, que la violation du secret des lettres était un moyen de gouvernement que la vieille monarchie ne dissimulait pas. En droit, le directeur de la poste devait, à cet égard, travailler avec le roi seul. Mais, en fait, cette turpitude ne pouvait échapper