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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/121

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La consternation avait frappé tout le Limousin, quand cette province sut qu’elle allait perdre son intendant. Versailles et les salons de Paris poussèrent des cris de joie, dès qu’ils ap-

    craint de me reprocher un jour de l’avoir quitté. Le roi m’a ôté cette peine, et la seule que j’aie éprouvée a été qu’il n’ait pas eu la bonté de me dire lui-même ses intentions.

    Quant à ma situation dont vous voulez bien vous occuper, elle ne peut m’affecter que par la perte des espérances que j’avais eues de seconder le roi dans ses vues pour le bonheur de ses peuples. Je souhaite qu’un autre les réalise. Mais, quand on n’a ni honte ni remords, quand on n’a connu d’autre intérêt que celui de l’État, quand on n’a ni déguisé, ni tu aucune vérité à son maître, on ne peut être malheureux.

    Je vous prie de vous charger de tous mes remerciements pour Mme la comtesse de Maurepas, et d’être persuadé qu’on ne peut rien ajouter aux sentiments avec lesquels j’ai l’honneur d’être, Monsieur, etc.

    Lettre de Turgot au roi.
    À Paris, le 18 mai 1776.

    Sire, je profite de la liberté que Votre Majesté a bien voulu me donner d’avoir l’honneur de lui écrire.

    M. Bertin, en s’acquittant des ordres qu’il avait, m’a dit qu’indépendamment des appointements attachés au titre de ministre, Votre Majesté était disposée à m’accorder un traitement plus avantageux, et qu’elle me permettait de lui exposer mes besoins.

    Vous savez, Sire, ce que je pense sur tout objet pécuniaire. Vos bontés m’ont toujours été plus chères que vos bienfaits. Je recevrai les appointements de ministre, parce que sans cela je me trouverais avoir environ un tiers de revenu de moins que si j’étais resté intendant de Limoges. Je n’ai pas besoin d’être plus riche, et je ne dois pas donner l’exemple d’être à charge à l’État.

    Je supplierai Votre Majesté de réserver les grâces qu’elle me destinait pour dédommager quelques personnes qui, après avoir fait le sacrifice de leur état pour m’aider dans mon travail, perdront par ma retraite celui que je leur avais procuré, et se trouveraient sans ressource, si elles n’éprouvaient les bontés de Votre Majesté. J’espère qu’elle approuvera que j’en laisse des notes à M. de Clugny, qui les lui mettra sous les yeux.

    Quant à moi, Sire, je dois regretter votre confiance et l’espérance qu’elle me donnait d’être utile à l’État. La démarche que j’ai faite, et qui paraît vous avoir déplu, vous a prouvé qu’aucun autre motif ne pouvait m’attacher à ma place, car je ne pouvais ignorer le risque que je courais, et je ne m’y serais pas exposé, si j’avais préféré ma fortune à mon devoir *. Vous avez vu aussi dans mes lettres com-