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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/255

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demander un autre prix sans abuser de la confiance avec laquelle on s’en est rapporté à lui, sans manquer, en un mot, à la bonne foi. Ce cas rentre donc dans celui de la fraude, et c’est à ce titre seul qu’il est condamnable. On dit et l’on doit dire que ce marchand a trompé, mais non qu’il a volé ; ou si l’on se sert quelquefois de cette dernière expression, ce n’est que dans un sens impropre et métaphorique.

Il faut conclure de cette explication que dans tout échange, dans toute convention qui a pour base deux conditions réciproques, l’injustice ne peut être fondée que sur la violence, la fraude, la mauvaise foi, l’abus de confiance, et jamais sur une, prétendue inégalité métaphysique entre la chose reçue et la chose donnée.

La seconde proposition du raisonnement que je combats est encore fondée sur une équivoque grossière et sur une supposition qui est précisément ce qui est en question. Ce que le prêteur exige, dit-on, de plus que le sort principal, est une chose qu’il reçoit au delà de ce qu’il a donné, puisqu’en recevant le sort principal seulement, il reçoit l’équivalent exact de ce qu’il a donné. — Il est certain qu’en rendant le sort principal, l’emprunteur rendra précisément le même poids de métal que le prêteur lui avait donné. Mais où nos raisonneurs ont-ils vu qu’il ne fallût considérer dans le prêt que le poids du métal prêté et rendu, et non la valeur, ou plutôt l’utilité dont il est pour celui qui prête et pour celui qui emprunte ? Où ont-ils vu que pour fixer cette valeur il fallut n’avoir égard qu’au poids du métal livré dans les deux époques différentes, sans comparer la différence d’utilité qui se trouve à l’époque du prêt entre une somme possédée actuellement et une somme égale qu’on recevra dans une époque éloignée ? Cette différence n’est-elle pas notoire, et le proverbe trivial un tiens vaut mieux que deux tu l’auras n’est-il pas l’expression naïve de cette notoriété ? Or, si une somme actuellement possédée vaut mieux, si elle est plus utile, si elle est préférable à l’assurance de recevoir une pareille somme dans une ou plusieurs années, il n’est pas vrai que le prêteur reçoive autant qu’il donne lorsqu’il ne stipule point l’intérêt, car il donne de l’argent et ne reçoit qu’une promesse. Or, s’il reçoit moins, pourquoi cette différence ne serait-elle pas compensée par l’assurance d’une augmentation sur la somme, proportionnée au retard ? Cette compensation est précisément l’intérêt de l’argent.

On est tenté de rire quand on entend des gens raisonnables, et