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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/290

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ques-uns, par l’arrangement des courriers, n’ont pu recevoir leur lettre que le 10 et même le 15, et vous voulez qu’ils vous envoient leur avis avant la fin du mois. Vous exigez d’eux cette célérité dans une saison où ils sont occupés à faire leurs départements et à parcourir leur province ; si vous ne voulez que savoir leur opinion sans les motifs sur lesquels ils l’appuient, ils peuvent vous répondre courrier par courrier : mais si vous leur demandez un avis motivé et dans lequel la question soit traitée avec une étendue et une solidité proportionnées à son importance ; si vous attendez d’eux des éclaircissements vraiment utiles et qui puissent servir à fixer vos doutes, j’ose dire que vous leur demandez l’impossible, et que vous ne leur donnez pas assez de temps. Ce n’est pas ici, à beaucoup près, un procès à juger par défaut, et ceux que vous consultez ont beaucoup moins d’intérêt que vous à ce que vous vous décidiez en connaissance de cause. Vous n’aurez certainement, dans tout votre ministère, aucune affaire dont les suites puissent être aussi intéressantes et pour vous et pour l’État, et sur laquelle vous deviez plus craindre de vous tromper. Vous avez votre réputation d’homme éclairé et de ministre sage à conserver ; mais surtout vous avez à répondre au public, au roi et à vous-même du sort de la nation entière, du dépérissement de la culture, de la dégradation du revenu des terres, et par contrecoup de toutes les branches d’industrie ; de la diminution des salaires, de l’inaction d’une foule de bras, de la non-valeur dans les revenus du roi, par l’excessive difficulté de lever les impôts, qu’on ne pourra plus extorquer du laboureur appauvri qu’en l’accablant de frais d’exécution, en lui faisant vendre à vil prix ses denrées, ses meubles, ses bestiaux, et en achevant de dégrader la culture déjà trop affaiblie par le défaut de débit : vous avez à répondre du trouble qu’apportera nécessairement à la tranquillité publique l’autorisation donnée à toutes les clameurs populaires contre le prétendu monopole, des vexations et des injustices de tout genre que commettront les officiers subalternes, à qui vous confierez une arme aussi dangereuse que l’exécution d’un règlement sur cette matière : vous avez à répondre enfin de la subsistance des peuples, qui serait à chaque instant compromise, d’abord par les disettes fréquentes qui résulteraient de la dégradation de la culture, ensuite par le défaut absolu de toute circulation, de tout commerce intérieur et extérieur, de toute spéculation pour faire porter des grains des lieux où il y en a