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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/291

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dans les lieux où il n’y en a pas ; par l’impossibilité de nourrir les provinces disetteuses, à moins que le gouvernement ne s’en charge, à des frais immenses et le plus souvent tardifs et infructueux.

Je ne vous le cache pas, monsieur, voilà ce que j’envisage comme autant de suites infaillibles du règlement projeté, s’il avait lieu. Vous ne pouvez pas vous dissimuler que ce ne soit la manière de voir et la conviction intime d’une foule de gens qui ont longtemps réfléchi sur cette matière, et qui ne sont ni des imbéciles ni des étourdis. Je sais bien que ceux qui, depuis quelque temps, parlent ou écrivent contre la liberté du commerce des grains, affectent de ne regarder cette opinion que comme celle de quelques écrivains qui se sont donné le nom d’économistes, et qui ont pu prévenir contre eux une partie du public, par l’air de secte qu’ils ont pris assez maladroitement et par un ton d’enthousiasme qui déplaît toujours à ceux qui ne le partagent pas, quoiqu’il soit en lui-même excusable, et qu’il parte d’un motif honnête. Il est vrai que ces écrivains ont défendu avec beaucoup de zèle la liberté du commerce des grains, et leur enthousiasme n’a pas empêché qu’ils n’aient développé avec beaucoup de clarté une foule d’excellentes raisons. Mais vous êtes trop instruit pour ne pas savoir que cette opinion a été adoptée longtemps avant eux et avec beaucoup de réflexion par des gens fort éclairés.

Ce n’est certainement pas sans y avoir beaucoup pensé que la loi qui va jusqu’à provoquer et récompenser l’exportation, a été adoptée par le parlement d’Angleterre, en 1689. Les Anglais ont penché vers un excès opposé à la prohibition, ils ont été jusqu’à repousser l’importation, et en cela leur système est vicieux : mais s’ils ont passé le but, cette faute même prouve combien était forte et générale la conviction du principe, que pour avoir à la fois des revenus et des subsistances en abondance, il ne faut qu’encourager la culture par l’abondance du débit. Lorsque M. du Pin, M. de Gournay, M. Herbert et beaucoup d’autres établirent en France les mêmes principes, aucun des écrivains qu’on nomme Économistes, n’avait encore rien publié dans ce genre, et on leur a fait un honneur qu’ils n’ont pas mérité, lorsque, pour déprimer l’opinion qu’ils ont défendue, on leur a imputé d’en être les seuls promoteurs.

Une question qui donne autant de prise à la discussion des principes et des faits ne doit point être décidée par autorité ; mais l’opi-