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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/319

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et au profit indispensable des entrepreneurs, sans lequel ils préféreraient d’autres emplois de leur argent, qui n’entraîneraient ni le même risque, ni le même travail. J’ai montré plus haut comment toute la portion de l’impôt qu’on s’imaginerait pouvoir leur faire supporter retomberait toujours, en dernière analyse, sur le propriétaire seul.

Cette digression est devenue, monsieur, plus longue que je ne me l’étais proposé ; mais il était important de vous faire connaître de quel prix est l’aveu que vous faites de l’avantage évident du propriétaire au système de la liberté, et de la diminution qu’éprouveraient ses revenus par le retour de l’ancien système. En diminuant le revenu des propriétaires, vous taririez la source de la plus grande partie des salaires, et vous diminueriez les moyens de payer l’impôt. Si le roi n’a et ne peut avoir que sa part dans le produit net de la terre, tout ce qui restreint ce produit net, tout ce qui tend à faire baisser la valeur ou à rendre plus faible la quantité des productions, restreint, resserre, affaiblit la part du roi, et la possibilité, non-seulement de l’augmenter, mais encore de la soutenir telle qu’elle est.

Les circonstances malheureuses où se trouve l’État ne vous permettent pas de diminuer les impôts, et il est bien plutôt à craindre que vous ne soyez forcé de les augmenter. Augmenter d’un côté les impôts, et de l’autre diminuer le revenu des terres, c’est attaquer à la fois la feuille et la racine ; c’est, passez-moi la trivialité de l’expression en faveur de sa justesse, c’est user la chandelle par les deux bouts.

Je reviens au premier objet de ma lettre, à la discussion des trois parties de votre raisonnement.

Il est, comme vous l’observez, indubitable que les revenus des propriétaires des fonds doivent augmenter par la liberté du commerce des grains : mais permettez-moi de vous faire remarquer, monsieur, que ce n’est point du tout, comme vous paraissez le supposer, parce que la liberté rend le grain plus cher.

Il n’est point du tout vrai qu’en général l’effet de la liberté soit, ni doive être de rendre le grain plus cher ; et il est prouvé que le prix doit en diminuer dans le plus grand nombre des cas, et je crois l’avoir irrésistiblement établi dans ma lettre précédente : veuillez vous rappeler, monsieur, que je parle ici du prix moyen auquel les consommateurs payent le grain, compensation faite des bonnes et des mauvaises années, du bas prix et de la cherté.