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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/377

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contre la liberté. Tous les règlements et toutes les prohibitions imaginables ne nourriraient pas mieux le peuple en pareil cas ; et la liberté aurait toujours fait le plus grand bien possible, 1o par l’extension qu’elle aurait donnée d’avance à la culture et qui aurait rendu le vide un peu moins grand ; 2o par l’encouragement qu’elle aurait donné à l’emmagasinement et qui aurait conservé du blé des années antérieures ; 3o en égalisant du moins le plus qu’il serait possible et la quantité et le prix des grains ; ce qui du moins partagerait plus également le poids d’un malheur inévitable.

Je me suis attaché, dans tout le cours de cette lettre, à vous faire revenir du préjugé où vous paraissiez être, que l’effet de la liberté du commerce des grains serait funeste aux consommateurs. Je ne la finirai point sans vous faire observer que, quand il serait vrai que la liberté produirait une augmentation dans le prix des grains, et que cette augmentation serait toute aux dépens des consommateurs, elle fournirait encore un moyen à faire gagner de ces consommateurs par la diminution du prix du pain plus qu’ils ne peuvent perdre par l’augmentation du prix du grain.

Les preuves de cette vérité ont été mises sous les yeux du public avec la plus grande clarté dans les Avis au peuple publiés par l’abbé Bandeau en 1768. Je ne sais, monsieur, si vos occupations vous ont permis de lire dans le temps ces ouvrages qui firent assez de bruit ; j’ose vous dire que, dans la circonstance où vous vous trouvez d’avoir un parti à prendre sur cette question si capitale, ils méritent toute votre attention. Je prends la liberté d’en joindre à ma lettre un exemplaire, afin que si vous jugez à propos de les lire, vous les ayez sous votre main.

Je vais seulement vous indiquer sommairement comment il est facile de procurer au consommateur l’avantage de ne pas payer le pain plus cher, quoique le grain augmente de prix. C’est faire pour lui tout ce qu’il peut désirer ; car c’est du pain qu’il mange, et si son pain n’est pas plus cher, que lui importe l’augmentation du grain ?

Il est notoire, d’après une foule d’expériences, que dans toutes les villes le prix du pain est beaucoup plus haut qu’il ne devrait l’être, eu égard au prix des grains. Cette inégalité a plusieurs causes : 1o le défaut de la mouture provenant de l’ignorance du plus grand nombre des meuniers, qui ne savent pas tirer du grain au-