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Page:Turgot - Œuvres de Turgot, éd. Eugène Daire, I.djvu/383

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vos principales difficultés. Je voudrais que vos occupations pussent vous permettre de me dire s’il vous en reste quelqu’une, je ne craindrais point de m’engager à y répondre d’une manière satisfaisante. Mais je sens que je n’ai que trop abusé de votre patience à me lire, ou, ce que je crains encore davantage, que je vous aie par ma longueur découragé de me lire.

Cette crainte m’empêche de vous envoyer aucune observation particulière sur le projet de règlement que vous m’avez adressé. J’ai cru plus utile de vous développer les principes généraux de ma façon de penser. S’ils sont vrais, vous concevrez sans peine que tout règlement et toutes gênes doivent être proscrits en matière de grains. Qui prouve le plus prouve le moins. D’ailleurs, il est impossible que vous n’ayez reçu de toutes parts des observations décisives sur les différents articles de ce projet. Je sais en particulier que M. Albert vous en a présenté de très-claires et très-solides. Vous trouverez, tome Ier, page 144 du recueil que j’ai l’honneur de vous adresser, un examen détaillé des différents articles des anciens règlements rappelés dans votre projet. Je ne croirais pas pouvoir en prouver plus clairement l’inutilité et le danger. Permettez-moi donc de me référer à cet ouvrage.

Je ne puis cependant m’empêcher de vous faire, sur le danger de quelques expressions du préambule de votre projet, des réflexions que peut-être vous ai-je déjà faites, mais qu’il n’y a pas d’inconvénient à répéter.

Annoncer au peuple que la cherté qu’il éprouve est l’effet des manœuvres et non du dérangement des saisons, lui dire qu’il éprouve la cherté au milieu de l’abondance, c’est autoriser toutes les calomnies passées, présentes et futures auxquelles il se porte assez facilement de lui-même, et auxquelles bien des gens sont fort aises de l’exciter contre l’administration et les administrateurs de toutes les classes[1]. C’est en même temps se rendre responsable des chertés qui peuvent continuer ou survenir ; c’est s’engager personnellement à lui procurer l’abondance, quoi qu’il arrive : or, il faut être bien sûr de son fait pour prendre un pareil engagement. J’avoue qu’aucun projet de règlement ne m’inspirerait une semblable con-

  1. Lorsque Turgot écrivait ces lignes, il ne se doutait pas que quelques années plus tard lui-même se verrait forcé d’employer la force armée pour réprimer les émeutes causées par les manœuvres des accapareurs que la liberté gênait. (Hte D.)